Quand la Lune éclaire le souffle du Cœur
La Fête de la Lune — ou Fête de la Mi-Automne (中秋节 Zhōngqiū jié) — est, avec le Nouvel An chinois, l’une des célébrations les plus profondes et les plus symboliques du calendrier traditionnel.
Elle a lieu le quinzième jour du huitième mois lunaire, au moment où la lune est la plus ronde et la plus lumineuse de l’année.
Sous sa clarté argentée, les familles se rassemblent pour partager un repas, échanger des gâteaux de lune (月饼 yuèbǐng) et lever les yeux vers le ciel.
Car la lune, dans la culture chinoise, n’est pas seulement un astre : elle est le miroir du lien — symbole de la réunion, du retour et de l’harmonie.
Le Souffle de l’Automne
Dans la médecine chinoise, l’automne correspond à l’élément Métal (金 jīn), lié aux Poumons et à la Respiration.
C’est la saison du raffinement du Qi, où la nature ralentit et se condense.
Les feuilles tombent, les sons deviennent plus clairs : tout invite à ralentir, à laisser descendre le souffle, à retrouver le calme intérieur.
Respirer en automne, c’est accompagner ce mouvement du monde :
laisser aller ce qui n’est plus nécessaire,
et faire place à la lumière du Cœur.
Lorsque le souffle devient clair comme la lune,
le cœur se reflète sans trouble dans son miroir.
La Lune et le Cœur
La lune est le miroir du Yin accompli, douce, apaisante, réceptive.
Elle répond au Cœur (心 Xīn), souverain des organes, demeure du Shen (神), l’esprit lumineux.
Comme le dit le Huangdi Neijing (Suwen, chap. 8) :
“Le Cœur est le souverain des organes, c’est de lui que naît la clarté de l’esprit.”
Ainsi, lorsque le Cœur est paisible, l’esprit s’y reflète
comme la lune dans une eau tranquille.
Cette sagesse rejoint la poésie intemporelle de Li Bai (李白), qui, seul dans la nuit, contemple la lune et laisse son esprit retourner à la maison du cœur :
静夜思 (Jìng yè sī) — Pensée dans la nuit tranquille
李白 (Li Bai)
床前明月光,
疑是地上霜。
举头望明月,
低头思故乡。
La lune éclaire devant mon lit,
Semble un tapis de givre sur la terre.
Je lève les yeux vers l’astre pur,
Et mon cœur retourne à ma patrie.
La lune, dans sa plénitude, relie les êtres séparés.
Sous son éclat, les distances se dissolvent : il ne reste qu’un souffle partagé entre ciel et terre, entre cœur et conscience.
La légende de Chang’E — La déesse de la Lune
Il y a très longtemps, la Terre était brûlée par dix soleils.
Les rivières s’asséchaient, les montagnes se fendaient, et la vie dépérissait.
Le héros Hou Yi, archer céleste, décocha alors dix flèches et abattit neuf soleils, ne laissant qu’un seul pour réchauffer la Terre.
Le peuple célébra son courage.
C’est alors qu’il rencontra Chang’E, au regard clair et au cœur lumineux.
Ils s’aimèrent d’un amour profond et pur.
Mais Hou Yi craignait que le temps ne les sépare.
Il entreprit un long voyage vers les monts Kunlun, à la recherche de l’Impératrice céleste Wangmu, gardienne de l’élixir d’immortalité.
Touchée par la bonté du héros, elle lui remit la potion sacrée en lui disant :
“Partagez cet élixir, et vous vivrez ensemble pour l’éternité.
Mais si l’un de vous le boit seul, il s’élèvera au ciel et ne reviendra jamais.”
Hou Yi rapporta la fiole et la confia à Chang’E.
Un jour, un disciple jaloux tenta de la voler.
Pour protéger leur secret, Chang’E avala tout le contenu.
Aussitôt, son corps devint léger comme le vent ; son souffle se fit lumière.
Elle s’éleva lentement vers le ciel et se réfugia dans la lune.
Depuis lors, Chang’E habite le Palais de Jade, veillée par le lapin de jade (玉兔 Yùtù) qui prépare l’élixir d’immortalité.
Et chaque automne, lorsque la lune est pleine, Hou Yi la contemple depuis la Terre, le cœur tourné vers son éclat.
On dit que, lors de la Fête de la Lune, si l’on observe bien le disque argenté, on peut y distinguer la silhouette dansante de Chang’E, baignée de silence et de clarté.
Le repas de la Lune : partages et saveurs
La Fête de la Mi-Automne est avant tout un moment de famille.
Lorsque la lune se lève, les proches se rassemblent autour d’une table pour partager le repas.
C’est un temps de gratitude et d’unité, où les plats choisis portent tous une symbolique d’harmonie et de chance.
Au menu figurent souvent :
- les crabes d’automne, à la chair tendre et parfumée,
- les racines de lotus (symbole de pureté et de continuité),
- le canard rôti, la citrouille, le taro, la poire, ou encore le pomelo, fruit rond et doré comme la lune.
Mais la véritable star de la soirée reste le gâteau de lune (月饼 yuèbǐng) :
rond, riche, décoré de symboles de longévité et d’unité, il se partage comme on partage la lumière.
Offrir un gâteau de lune, c’est souhaiter la plénitude, la douceur et la paix.
Le dîner s’achève souvent dehors, sous la clarté du ciel.
Le soir, les familles sortent admirer la lune,
plus ronde et plus brillante que le reste de l’année.
Les rires se mêlent au murmure du vent, les enfants portent des lanternes colorées, et le parfum des fleurs d’osmanthus (桂花 guìhuā) flotte dans l’air tiède de la nuit.
Pratique O2Qi : Respirer avec la Lune
Pour honorer cette fête du Yin et du souffle, voici une méditation lunaire à pratiquer au crépuscule :
- Assieds-toi dans le calme, dehors ou près d’une fenêtre ouverte.
- Regarde la lune, ou imagine sa lumière descendre dans ta poitrine.
- Inspire lentement par le nez, en laissant entrer la clarté douce de l’astre.
- Sens cette lumière apaiser ton cœur, harmoniser ton souffle.
- Expire lentement par la bouche, en relâchant les pensées, comme les feuilles d’automne.
Répète ce cycle jusqu’à sentir ton souffle devenir rond comme la lune, équilibré entre Yin et Yang, entre Ciel et Terre.
Cette respiration nourrit le Yin du Cœur, calme le Feu intérieur, et invite à la cohérence cardiaque du silence.
La clarté partagée
La Fête de la Lune nous enseigne que la vraie lumière ne vient pas de ce qui brille, mais de ce qui éclaire doucement.
Même séparés, nous partageons le même ciel, la même lune, le même souffle.
Sous son éclat, les distances s’effacent, et le cœur retrouve sa demeure.
Puissions-nous respirer ensemble sous la même lune,
même si nos chemins sont éloignés.






