De la crêpe à la colonne d’air : le souffle invisible du musicien

Lors d’une masterclass que j’ai suivie à Sablé-sur-Sarthe, le flûtiste à bec Benoît Toïgo proposa, avec humour et finesse une image qui m’est restée gravée en mémoire : le phrasé musical est comme une crêpe que l’on lance dans les airs.
Tant que l’on accompagne le mouvement, la crêpe reste suspendue avec grâce. Mais si l’on cesse trop tôt, elle tombe brutalement, et tout l’élan s’effondre.

De même, une phrase musicale doit être tenue jusqu’au bout, soutenue par le souffle et par la colonne d’air, afin que le son conserve sa vitalité jusqu’au dernier instant.

Souvenir d’une rencontre marquante

Ce qui m’a marqué chez Benoît Toïgo, c’est la qualité de son phrasé et la conduite du son, tant dans l’interprétation des sonates de Bach que dans les estampies médiévales.
Dans ces deux univers si différents, il savait donner à chaque phrase un souffle continu, une ligne claire, toujours habitée d’intention et de poésie.

Un grand souvenir, qui m’a appris que la musique est avant tout une affaire de respiration tenue, de souffle conduit avec justesse, comme un arc invisible qui relie le cœur du musicien à celui de l’auditeur.

Le rôle du diaphragme et de ses alliés

Respirer, ce n’est pas seulement remplir ses poumons : c’est mobiliser un véritable orchestre musculaire.

  • Le diaphragme initie le souffle. À l’inspiration, il s’abaisse, laissant l’air pénétrer et préparer la phrase musicale.
  • Mais pour que la fin de phrase garde sa tenue, ce ne sont plus seulement le diaphragme et l’élan initial qui comptent.
  • Le transverse de l’abdomen, muscle profond en forme de large ceinture, régule le flux d’air avec finesse et stabilité. Il agit comme une main invisible qui soutient la note, particulièrement quand la réserve pulmonaire diminue.
  • Les obliques, internes et externes, viennent affiner ce soutien : par leurs ajustements, ils permettent les nuances, la continuité et la souplesse du phrasé.

Ainsi, la colonne d’air n’est pas seulement une image : c’est une construction vivante, où le diaphragme impulse et où les abdominaux profonds prolongent, contrôlent et adoucissent.

Le souffle intérieur du musicien

La métaphore de la crêpe proposée par Benoît Toïgo rejoint, par un autre chemin, la vision de Dominique Hoppenot dans Le violon intérieur.
Pour l’un comme pour l’autre, le son ne se réduit pas à une technique extérieure : il est le prolongement d’un souffle intérieur, soutenu par une architecture corporelle subtile.
Chez le violoniste, c’est l’archet qui prolonge la respiration. Chez le flûtiste, c’est la colonne d’air. Mais dans les deux cas, la phrase musicale ne trouve sa plénitude que lorsqu’elle est conduite de l’intérieur, par le souffle, le cœur et la conscience unifiés.

Du geste physiologique à la poésie musicale

Cette compréhension nous révèle que derrière chaque note se cache une organisation corporelle invisible mais essentielle.
La respiration devient le pont entre physiologie et art, entre l’intime et le partage musical.

En reliant souffle, diaphragme, transverse et obliques, le musicien découvre que le phrasé n’est pas seulement une affaire de technique instrumentale : c’est une alchimie intérieure où le corps tout entier s’unit pour faire naître le son.

Et c’est peut-être là la vraie leçon de Benoît Toïgo : la crêpe ne doit jamais tomber, parce que le souffle – soutenu par le corps et habité par l’âme – ne s’interrompt pas avant la fin de la phrase.

Tre Fontane / Istanpitta (OP30325) : Musiques de fête à la cour des Visconti

Alla Francesca, dir. Pierre Hamon

Pierre Hamon, Benoît Toïgo, flûtes à bec

Carlo Rizzo, Tambourin

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