Lidong 立冬 — L’entrée de l’hiver

À Lìdōng, le premier jour de l’hiver, le Nord de la Chine se réchauffe autour d’un bol de jiǎozi 饺子. Ces raviolis, symboles du passage entre deux souffles, rappellent que la chaleur humaine est la première médecine du froid. Dans la tradition du Huangdi Neijing, le corps apprend à se refermer, à nourrir son énergie intérieure. Découvrez Lìdōng — Quand la vie se replie, le silence commence à parler.

Lìdōng 立冬 — Quand la vie se replie, le silence commence à parler

Photo : des jiǎozi fumants, symboles du passage de l’automne à l’hiver dans le nord de la Chine.

Le seuil de l’hiver

Après la descente du givre vient Lìdōng — 立冬, le commencement de l’hiver.
C’est le moment où le Soleil atteint 225° de longitude écliptique, entre le 7 et le 22 novembre.
Les souffles du Ciel et de la Terre s’immobilisent : la nature cesse de produire pour commencer à conserver.

signifie « se dresser, établir » — un acte d’ouverture.
Dōng désigne l’hiver, la saison du recueil et du retour à la racine.
Ainsi, Lìdōng n’est pas la fin du mouvement : c’est la naissance du repos.

La lumière se retire dans le ventre du monde.
La terre se referme, l’eau se rassemble dans les profondeurs.
Les montagnes se figent, les rivières ralentissent.
Le souffle se condense : le Yang se cache, le Yin s’épaissit.

C’est le premier des six souffles hivernaux — celui du retour.

Le goût du seuil — 饺子 Jiǎozi

Dans le nord de la Chine, le jour de Lìdōng, on prépare et on partage des jiǎozi 饺子,
ces raviolis en forme d’oreilles.
La tradition dit que celui qui en mange à Lìdōng ne gèlera pas des oreilles durant l’hiver.

Mais derrière cette coutume se cache une sagesse du corps et du souffle.
Le mot jiǎozi (饺子) partage un homonyme avec jiāozi (交子) —
« le moment du passage », le tournant entre deux souffles.

Ainsi, ces raviolis symbolisent le passage entre l’automne et l’hiver,
entre le Métal qui se replie et l’Eau qui recueille.
Manger chaud, partager, nourrir :
autant de gestes qui célèbrent l’intériorisation du Qi et la chaleur humaine
au moment où la nature se tait.

Les jiǎozi ne sont pas seulement un mets,
mais une offrande symbolique au cycle du monde
une manière de dire : je me relie au rythme du Ciel et de la Terre.

Entre Eau et silence : la racine du Qi

Le mouvement du Métal a achevé sa descente.
L’Eau s’installe : c’est le règne du Rein, racine du Jing (Essence) et réservoir du Qi véritable.

Le Rein recueille, conserve, prépare le germe du printemps.
Son énergie s’enracine dans le bas du dos et descend jusqu’à la plante des pieds (Yǒngquán 湧泉, 1R).
Son émotion est la peur, mais aussi la confiance profonde : celle du silence qui porte toute vie.

Sur le plan physiologique, l’organisme entre dans sa phase la plus intériorisée :
le système parasympathique domine,
le métabolisme ralentit,
le rythme cardiaque s’abaisse,
la respiration s’approfondit.

C’est le moment de nourrir le Yin et protéger le Yang caché
de laisser la chaleur interne se concentrer au centre.

Respiration de l’hiver — le retour du souffle

En cette période, la respiration devient subtile et profonde,
comme un filet d’eau qui s’enfonce dans la terre.

Respirer à Lìdōng, c’est laisser le souffle retourner à sa source.

Le mouvement se fait descendant et intérieur :

  • l’inspiration recueille l’énergie du Ciel et la dépose dans le ventre ;
  • l’expiration efface les tensions du haut du corps ;
  • la pause respiratoire devient un silence chaud et dense,
    un creuset où se forge la lumière du printemps à venir.

La respiration hivernale enseigne la confiance :
même dans le silence, la vie œuvre.

Pratique respiratoire (10 à 12 minutes)

Posture :
Assieds-toi ou tiens-toi debout, les mains posées sur le bas-ventre.
Les épaules s’abaissent, la nuque s’étire légèrement.
Ferme les yeux, imagine que ta colonne vertébrale s’enracine dans la terre.

Cycle respiratoire :

  1. Inspire doucement par le nez (5 temps) — imagine un souffle clair qui descend jusqu’à Dāntián 丹田 (le champ de cinabre).
  2. Retiens un instant (2 temps) — sens la chaleur se concentrer au centre.
  3. Expire lentement par la bouche (7 temps) — relâche la poitrine, laisse le souffle retourner à la terre.
  4. Pause naturelle après l’expiration (5 à 6 temps) — sans effort : le souffle repose.

Dans cette suspension douce,
le Qi s’enracine,
le Rein s’apaise,
le Poumon se vide sans perte.

Cette respiration fortifie le Jing, nourrit le Yin et ancre le Shen.
Elle prépare le corps à la lenteur et à la stabilité hivernales.

Saveurs et alimentation du recueil

À Lìdōng, la saveur salée domine : elle attire le Qi vers le bas et nourrit les Reins.
Mais l’excès de sel blesse le Cœur ; la douceur doit l’accompagner, pour harmoniser.

C’est le temps des cuissons lentes, des mets moelleux et des aliments sombres
une cuisine qui nourrit la chaleur interne et préserve le Qi.

Aliments de choix pour Lìdōng

  • Agneau : réchauffe le Yang, tonifie le sang et le Qi.
  • Canard au gingembre : nourrit le Yin tout en activant la chaleur interne.
  • Radis blanc (白萝卜) : allège les stagnations digestives et clarifie le Poumon.
  • Riz gluant aux haricots rouges : renforce la rate et le sang, nourrit le cœur.
  • Poulet noir (乌骨鸡, wūgǔ jī) :
    race traditionnelle chinoise réputée pour sa chair et ses os noirs.
    Dans sa variété la plus célèbre, dite Taihe silkie (泰和乌鸡),
    le plumage est blanc soyeux tandis que la peau, la viande et les os sont noirs.
    Ce contraste singulier symbolise la cohabitation du Yin et du Yang.
    En médecine chinoise, il est utilisé pour nourrir le sang et le Yin,
    fortifier la rate et le rein, et soutenir la vitalité féminine.
  • Poire : humidifie le Poumon, adoucit la gorge, équilibre la chaleur des plats.
  • Champignons Shiitake (香菇) : soutiennent le système immunitaire et régulent l’énergie.
  • Haricots noirs : renforcent le Rein et les tendons.
  • Vin de riz Shaoxing (绍兴酒) : favorise la circulation du sang et réchauffe doucement sans disperser.

Ces mets expriment la philosophie du recueil :
chauffer sans disperser, nourrir sans alourdir,
honorer la lenteur et la profondeur.

Et parmi eux, le bol de jiǎozi fumants rappelle que l’hiver commence dans la chaleur du partage.

Sommeil et rythme intérieur

Le Ciel s’endort tôt, l’homme doit l’imiter.

  • Se coucher avant 22h, se lever après le lever du jour.
  • Réchauffer le dos et les pieds avant le sommeil.
  • Préférer la lumière tamisée, les gestes calmes.
  • Réduire les activités mentales et sociales intenses.
  • Cultiver la lecture lente, la méditation, la contemplation silencieuse.

Le repos profond à Lìdōng n’est pas paresse :
il est la matrice de toute renaissance.

Résonances d’hiver — Orient et Occident

Dans le Huangdi Neijing Suwen 黃帝內經·素問, chapitre II — Sì qì tiáo shén dà lùn 四氣調神大論, il est écrit :

「冬三月,此謂閉藏。水冰地坼,無擾乎陽,早臥晚起,必待日光。」

« Durant les trois mois d’hiver, c’est le temps du repli et de la conservation.
L’eau gèle, la terre se fend : ne trouble pas le Yang.
Couche-toi tôt, lève-toi tard, attends la lumière du soleil. »

Huangdi Neijing Suwen, chap. 2 (Sì qì tiáo shén dà lùn)

Ce passage enseigne l’art du bì cáng 閉藏 — fermer et conserver —,
le principe même du Dao hivernal :
protéger la chaleur interne, garder le Qi à l’abri,
et laisser l’esprit se replier vers sa profondeur.

Poème du seuil — Lu Wengui (陆文圭, 1252-1336), lettré de la dynastie Yuan, surnommé “Qiangdong”.

旱久何当雨,
秋深渐入冬。
黄花犹带露,
红叶已随风。

Traduction poétique

Longue attente de pluie,
l’automne profond glisse vers l’hiver.
Les chrysanthèmes gardent encore la rosée,
les feuilles rouges s’en vont avec le vent.

Résonance poétique

Ce poème saisit le moment de passage entre deux souffles :
le temps du jiāozi 交子, ce tournant entre l’automne et l’hiver,
où le monde se transforme sans bruit.

Les chrysanthèmes conservent la rosée — trace du Qi clair du Métal.
Les feuilles rouges s’envolent — signe que l’Eau s’installe.
Tout descend, tout s’intériorise.

C’est le même passage que symbolisent les jiǎozi,
ces petits croissants de pâte fermés sur la chaleur du vivant.
Ils incarnent la sagesse de la saison : conserver, protéger, recueillir.

Interprétation dans la pratique O2Qi

Respirer à Lìdōng, c’est entrer dans l’art du scellement du souffle.

  • Inspiration — recueillir la clarté encore présente, et la laisser descendre jusqu’à la racine.
  • Expiration — relâcher le haut du corps, offrir au silence ce qui s’achève.
  • Pause — demeurer dans l’immobilité tiède, là où le Qi se concentre et se protège.

Dans cette respiration lente et descendante,
le Poumon se vide sans perte,
le Rein recueille sans effort.
Le Qi ne se disperse plus : il se scelle dans le centre,
préservant la vie pour le printemps à venir.

Échos occidentaux

En Occident, l’hiver évoque aussi le retour à la matière essentielle.
Dans la tradition alchimique, il correspond à la nigredo, l’Œuvre au noir —
le temps du repos et du travail intérieur,
où la lumière invisible se prépare à renaître.

« Là où la lumière s’éteint, commence le royaume du cœur. »
d’après Novalis, Hymnes à la Nuit

De la Chine ancienne à l’Europe romantique,
le même enseignement résonne :
la nuit, le froid, le silence ne sont pas la fin,
mais le commencement du retour.

La physiologie moderne le confirme :
dans la respiration lente et profonde,
le nerf vague s’active,
la variabilité cardiaque s’élargit,
et le corps entre en cohérence régénératrice.

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